Carcassonne
(Poème de Gustave Nadaud)


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«Je me fais vieux, j’ai soixante ans,
J’ai travaillé toute ma vie
Sans avoir, durant tout ce temps,
Pu satisfaire mon envie.
Je vois bien qu’il n’est ici-bas
De bonheur complet pour personne.
Mon voeu ne s’accomplira pas:
Je n’ai jamais vu Carcassonne!

«On dit qu’on y voit tous les jours,
Ni plus ni moins que les dimanches,
Des gens s’en aller sur le cours,
En habits neufs, en robes blanches.
On dit qu’on y voit des châteaux
Grands comme ceux de Babylone,
Un évêque et deux généraux!
Je ne connais pas Carcassonne!

«Le vicaire a cent fois raison:
C’est des imprudents que nous sommes.
Il disait dans son oraison
Que l’ambition perd les hommes.
Si je pouvais trouver pourtant
Deux jours sur la fin de l’automne…
Mon Dieu! que je mourrais content
Après avoir vu Carcassonne!

«Mon Dieu! mon Dieu! Pardonnez-moi
Si ma prière vous offense ;
On voit toujours plus haut que soi,
En vieillesse comme en enfance.
Ma femme, avec mon fils Aignan,
A voyagé jusqu’à Narbonne ;
Mon filleul a vu Perpignan,
Et je n’ai pas vu Carcassonne!»

Ainsi chantait, près de Limoux,
Un paysan courbé par l’âge.
Je lui dis : «Ami, levez-vous;
Nous allons faire le voyage.»
Nous partîmes le lendemain;
Mais (que le Bon Dieu lui pardonne!)
Il mourut à moitié chemin :
Il n’a jamais vu Carcassonne!





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