À mon frère, revenant d’Italie
(Poème de Alfred de Musset)

ENGLISH ITALIANO

Ainsi, mon cher, tu t’en reviens
Du pays dont je me souviens
    Comme d’un rêve,
De ces beaux lieux où l’oranger
Naquit pour nous dédommager
    Du péché d’Eve.

Tu l’as vu, ce fantôme altier
Qui jadis eut le monde entier
    Sous son empire.
César dans sa pourpre est tombé;
Dans un petit manteau d’abbé
    Sa veuve expire.

Tu t’es bercé sur ce flot pur
Où Naples enchâsse dans l’azur
    Sa mosaïque,
Oreiller des lazzaroni
Où sont nés le macaroni
    Et la musique.

Qu’il soit rusé, simple ou moqueur,
N’est-ce pas qu’il nous laisse au coeur
Un charme étrange,
Ce peuple ami de la gaieté
Qui donnerait gloire et beauté
    Pour une orange?

Ischia! c’est là qu’on a des yeux,
C’est là qu’un corsage amoureux
    Serre la hanche.
Sur un bas rouge bien tiré
Brille, sous le jupon doré,
    La mule blanche.

Pauvre Ischia! bien des gens n’ont vu
Tes jeunes filles que pied nu
    Dans la poussière.
On les endimanche à prix d’or;
Mais ton pur soleil brille encore
    Sur leur misère.

Quoi qu’il en soit, il est certain
Que l’on ne parle pas latin
    Dans les Abruties,
Et que jamais un postillon
N’y sera l’enfant d’Apollon
    Ni des neuf Muses.

Toits superbes! Froids monuments!
Linceul d’or sur des ossements!
    Ci-gît Venise.
Là mon pauvre coeur est resté.
S’il doit m’en être rapporté,
    Dieu le conduise!

Mais de quoi vais-je ici parler?
Que ferait l’homme désolé,
    Quand toi, cher frère,
Ces lieux où j’ai failli mourir,
Tu t’en viens de les parcourir
    Pour te distraire?

Frère, ne t’en va plus si loin.
D’un peu d’aide j’ai grand besoin,
    Quoi qu’il m’advienne.
Je ne sais où va mon chemin,
Mais je marche mieux quand ta main
    Serre la mienne.





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